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Urgence écologique et impact du numérique

par Solidaires Informatique
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Urgence écologique et impact du numérique

Le numérique est notre cœur de métier, en faire la critique et pointer son impact écologique peut sembler dissonant, mais Solidaires Informatique reste ancré dans la réalité du monde et nous sommes conscient.e.s que la priorité aujourd’hui, et pour les décennies à venir, est la prise en compte de l’urgence climatique et écologique. Notre intérêt catégoriel de travailleur.se.s du numérique doit céder la place à l’intérêt général du vivant. Nous nous devons d’être lucides et honnêtes.

Dématérialisation, numérisation, digitalisation, on a tout·e·s entendu ces termes sans vraiment savoir ce qui se cache derrière. Ce n’en sont pas moins des concepts qui baignent notre métier et qui sont proférés comme des injonctions, comme la panacée pour toute entreprise ou activité qui souhaite s’afficher, innover ou optimiser son fonctionnement (les fameuses industries 2, 3 ou 4.0).

Il faut démystifier la fable du dématérialisé qui ne coûte rien en affirmant que le « virtuel » n’est jamais que de l’information traitée et stockée chez quelqu’un d’autre. Et ça n’est pas sans conséquence ! Au-delà du problème de maîtrise et de protection de nos données, se pose celui de l’escamotage de l’impact écologique derrière cette impression d’immatériel.

Dans le monde, le numérique c’est une part significative de la consommation totale d’électricité ; et une émission de GES plus importante que le transport aérien (1). La seule fabrication d’un ordinateur portable nécessite plusieurs centaines de kilos de matière première (2). Les terres rares, indispensables au développement de nos technologies étant inégalement réparties sur la planète et difficiles à produire, elles sont ainsi devenues une source de tensions géopolitiques et économiques (3).

Depuis l’avènement de l’informatique, les technologies n’ont eu de cesse de progresser. Les puissances de calcul et les capacités de stockage et d’échange ont suivies, nous faisant croire que la ressource informatique est infinie. Dans la droite ligne de la société de consommation qui se moque des limites physiques de notre planète, nos usages informatiques n’ont de cesse d’exploser, utilisant toujours plus de ressources matérielles et énergétiques pour nous permettre d’engloutir toujours plus de données. Les prévisions indiquent à ce sujet que la consommation de données devrait globalement augmenter d’environ 7 % par an (1). Et c’est sans compter les effets rebonds induits par le télétravail (en particulier la systématisation des réunions en vidéoconférence).

Comment ne pas citer l’exemple de la 5G ? Loin des délires complotistes, il paraît néanmoins important de souligner l’impact écologique d’une technologie nécessitant autant d’infrastructure, pour un gain finalement peu important par rapport à la 4G, dont l’installation n’est pas encore achevée. Le déploiement actuel de la 5G semble n’apporter comme seul objectif immédiat que la dématérialisation des services publics, au prix d’une consommation d’énergie encore accrue. Que dire, ensuite, des cryptomonnaies, dont les mineurs ont fait exploser, à elleux seul·e·s, le prix de certaines pièces informatiques utilisées pour leurs opérations. Tout cela à des fins qui ne sont rien d’autre que de la spéculation financière. Enfin, les problématiques liées aux services de streaming vidéos (YouTube, Netflix, et consorts), ne sont plus à présenter. Face à la part du trafic internet utilisée par ces services, certains en viennent à envisager la fin de la neutralité du net (4). Les exemples ne manquent pas pour exprimer la part que l’informatique prend dans nos vies et, par extension, dans l’impact de ces dernières sur notre environnement.

La majorité des entreprises, celles du numérique inclues, n’ont pour seul véritable horizon qu’un bilan comptable positif. Cela se traduit en une politique du chiffre, souvent court-termisme, aveugle aux enjeux autres que financiers.

Dans nos entreprises, les « process qualité (tm) », quand ils existent, étaient initialement perçus comme inutilement chronophages et dispendieux et n’ont été impulsés que soit sous pression contractuelle, soit comme avantage compétitif, mais en somme, qu’à la demande des clients ou après de longues démonstrations des équipes internes. Dans ces circonstances, difficile de croire qu’elles développeront un volet RSE (Responsabilités Sociale et Écologique) plus que pour briller dans leur plan de comm’.

Du côté des fabricants de matériels, l’irresponsabilité est encore plus patente, eux qui, pour des raisons essentiellement marketing, cherchent à tout prix à créer l’impression de nouveauté, à susciter de nouveaux usages. Cela se ressent d’ailleurs dans les indices de réparabilité [6]. La durée de vie et la simplicité de réparation n’est pas leur priorité. Pour certains comme Apple, c’est même le sujet d’un intense lobbying contre. [7] Sur la liste de leurs exactions, on pourra aussi ajouter l’absence de considération pour les ouvrier·e·s de leurs usines de production, la plupart situées en Chine, et au premier rang desquelles figure par exemple Foxconn, maintes fois dénoncée. [8]

En résumé, sans directive étatique et demande des travailleurs et surtout des consommateur, les entreprises ne changeront pas.

Nous devons en outre comprendre et faire comprendre que produire du logiciel ce n’est pas produire du rien, ce que nous savons par ailleurs en tant que travailleurs. Lorsqu’une voiture est fabriquée, on sait en fonction de ses matériaux, de son poids, de son moteur, quelle va être son empreinte environnementale d’usage. Mais nos employeurs aimeraient nous faire croire et faire croire au grand public qu’il n’en est rien pour les logiciels. Et jusqu’à présent ils y arrivent. Un logiciel, quel qu’il soit, va continuer à vivre une fois sorti de notre PC d’informaticien. En fonction de sa taille, de sa qualité de développement, des ressources physiques auxquelles il fait appel, en fonction du nombre d’utilisateurs, il va consommer des ressources. Il va consommer des ressources très physiques et pas du tout dématérialisées. Ces ressources sont énergétiques pour faire fonctionner toutes les machines, réseaux, serveurs, écrans, sauvegardes, avec donc des émissions de GES. Mais ce sont aussi des ressources de matières premières qui sont utilisées en masse dans des procédés de production qui sont parfois d’autant plus consommateurs qu’ils se modernisent. Solidaires Informatique se doit d’interroger cette activité et les moyens de faire évoluer cette activité.

De notre côté, nous travailleurs, entre la pression managériale, les délais à tenir et les lacunes de nos formations sur ces aspects, il nous est bien difficile d’envisager nos productions sous l’angle de l’écologie et de l’éthique. L’absence d’écho de ces problèmes au niveau politique et sociétal ne nous incite pas vraiment à nous en emparer non plus.

Mais si nos productions sont si souvent mal optimisées, c’est aussi un peu par facilité et manque de considération pour leur taille en mémoire et les performances des calculs, dès lors qu’ils ne sont pas visibles sur nos outils de travail. La majorité d’entre nous travaille avec du matériel fréquemment renouvelé.

Entreprises, travailleurs, mais aussi l’État, dont on ne détaillera pas ici les manquements, ce trio est connu sous le nom de triangle de l’inaction [9] dans lequel les groupes composés des collectifs, des politiques et des individus, tour à tour, rejettent la faute sur les deux autres.

C’est pourquoi Solidaire Informatique dénonce cet état de fait et appelle notre secteur à prendre conscience de son impact écologique et sociétal. S.I. ne prétend ni à la primauté du constat, ni à l’expertise sur ces sujets pour lesquels d’autres collectifs ont déjà fait montre de leurs compétences. Mais S.I. se veut être un porte-voix auprès des salarié·e·s du secteur numérique pour diffuser la prise de conscience et être un relai d’actions.

S.I. appelle au numérique responsable, qui met l’informatique au service d’un projet de société désirable et qui ne gâche pas ses ressources à aliéner nos vies et nos emplois.

Les collectifs et initiatives que S.I. soutient ou recommande :

La fresque du numérique (https://www.fresquedunumerique.org)

Podcast l’Octet Vert de Tristan Nitot (Fondateur de Mozilla Europe) (https://www.standblog.org/blog/category/podcast)

Les études de Gauthier Roussilhe, chercheur spécialisé sur les enjeux environnementaux de la numérisation  (https://gauthierroussilhe.com/)

Guides d’éco-conception de services numériques :

Pour les designers (https://eco-conception.designersethiques.org/guide/fr/)

GR491 référentiel de l’INR (https://gr491.isit-europe.org/)

(L’Institut du Numérique Responsable accueille en son sein des experts et militants des sujets écologiques tout à fait pertinents, mais compte aussi parmi ses adhérents des grands groupes sans doute plus intéressé à faire un « greenwashing » de leur image)

Référentiel ministériel (https://ecoresponsable.numerique.gouv.fr/publications/referentiel-general-ecoconception/)

Asso « Vous n’êtes pas seuls » (https://vous-netes-pas-seuls.org/)

Plutôt que de s’enthousiasmer à l’arrivée d’une nouvelle technologie, s’interroger plus largement sur les conséquences que cela va avoir sur nos usages et les implications en termes de société, et sur les ressources qui y seront consacrées ainsi que leur impact écologique. Ne pas non plus se fermer à des remises en questions postérieures, lorsque ce que nous n’avions pas anticipé apparaît et se révèle inquiétant. En somme, faire preuve de plus de déontologie et reconnaître le caractère dual, complexe, que peuvent prendre les progrès numériques. La blockchain , déjà évoquée, qui peut sembler permettre une démocratisation de la chaîne de confiance, par ailleurs réservée à des sachant experts, se concrétise en majorité dans des cryptomonnaies et systèmes NFT qui sont un désastre énergétique en plus d’avoir des allures de pyramides de Ponzi. Le métavers, envisagé comme extension de nos interactions sociales, qui veut offrir une solution aux personnes isolées, s’annonce avant tout extrêmement gourmand, autant en trafic internet qu’en données personnelles.

Ne laissons pas se produire un cercle vicieux qui revient à « programmer » l’obsolescence du matériel informatique. Parce que les usages gonflent au point qu’il faille renouveler les serveurs, les pc, les smartphones… qui permettent à leur tour une utilisation accrue et à nouveau plus gourmande.

Il y a urgence, passons à l’action.

 

1] cairn, «Revue responsabilite et environnement,» mars 2017. [En ligne]. Available: https://www.cairn.info/revueresponsabilite­et­environnement­2017­3­page­72.htm. [Accès le 1 mars 2022].
[2] ADEME, «Guide en route vers sobriete numerique,» [En ligne]. Available: https://librairie.ademe.fr/cadic/6555/
guide­en­route­vers­sobriete­numerique.pdf. [Accès le 01 mars 2022].
[3] ADEME, «Infographie terres rares,» [En ligne]. Available: https://multimedia.ademe.fr/infographies/infographieterres­rares­ademe/. [Accès le 1 mars 2022].
[4] G. Roussilhe, «Smartphones 4G 5G,» septembre 2020. [En ligne]. Available: https://gauthierroussilhe.com/pdf/
Smartphones4G5G­Septembre2020.pdf. [Accès le 1 mars 2022].
[5] Le Monde, «Aux Etats Unis la neutralite du net prend officiellement fin,» 11 juin 2018. [En ligne]. Available:
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/06/11/aux­etats­unis­la­neutralite­du­net­prend­officiellementfin_5312968_4408996.html. [Accès le 1 mars 2022].
[6] Spakera, «Indice de réparabilité,» Spakera, [En ligne]. Available: https://www.indicereparabilite.fr/. [Accès le 1
mars 2022].
[7] D. Beres et A. Campbell, «Apple right to repair US,» Huffington Post, 10 juin 2016. [En ligne]. Available: https://
www.huffingtonpost.com/entry/apple­right­to­repair_us_5755a6b4e4b0ed593f14fdea. [Accès le 1 mars 2022].
[8] Wikiédia, «Foxconn ­ Controverses,» [En ligne]. Available: https://fr.wikipedia.org/wiki/Foxconn#Controverses.
[Accès le 1 mars 2022].
[9] P. Peyretou, «10 minutes pour cadrer un débat : maintenant on fait quoi,» 20 novembre 2020. [En ligne].
Available: https://pierre­peyretou.medium.com/climat­10­minutes­pour­cadrer­un­d%C3%A9bat­maintenant­on­faitquoi­361beb5b8251. [Accès le 1 mars 2022].

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