Lexique :
- « le TDS » = le travail du sexe
- « les TDS » = les personnes travailleuses du sexe
Lors des manifestations contre la réforme des retraites, des TDS, notamment des camarades, ont exprimé leur déception face à la position abolitionniste de l’Union Solidaires, point de départ de la réflexion sur ce sujet chez Solidaires Informatique.
De fait, la position défendue dans le cahier revendicatif de Solidaires, p69, semble ne pas avoir été retouchée depuis une dizaine d’années, défendant des éléments qui sont entrés dans la loi depuis (loi de 2016). Les effets de la loi sont depuis mesurables, et ne semblent pas constituer une avancée dans la défense des droits des personnes Travailleuses du sexe (cf :
https://www.medecinsdumonde.org/app/uploads/2023/04/Shadow-Report-2020.pdf). Il nous semble à propos de réviser ces éléments, et pour nous la question de l’abandon de la position abolitionniste est centrale.
Une question de définitions
Le terme de travail du sexe, comme celui de prostitution, sont des termes qui sont porteurs de sens. Dans le cas du TDS, il sous-entend qu’il s’agit d’une activité rémunératrice, placée à ce titre au même niveau que tout autre échange économique de production. Basé sur une entente préalable, il s’agit, de ce point de vue, d’un service rémunéré entre un·e TDS et un·e ou des client·e·s. Ces services sont très larges, allant de la photo de pieds au rapport pénétratif en passant par les massages, les vidéos, le téléphone rose… La question de l’entente préalable et de l’égalité de niveau face à d’autres échanges économiques de production est remise en question lorsque l’on parle de prostitution.
S’il est le plus utilisé, le terme de prostitution renvoie à une image assez limitante de la diversité du travail du sexe. La perspective d’un système prostitutionnel, si ce système existe dans les faits et doit évidemment être combattu, est limitante quant à son acception.
La question des définitions est centrale dans ce débat. Les personnes qui revendiquent utiliser le terme de prostitution associent généralement la question du corps-objet à la prostitution (« vendre son corps »). Les personnes qui revendiquent utiliser le terme de TDS semblent remettre en question notre société patriarcale et capitaliste de manière plus générale, et plus radicale : le travail doit être aboli, mais en attendant il faut survivre ; les institutions traditionnelles (travail, famille, État) reproduisent des schémas où le désir et le consentement se heurtent parfois ; la reproduction de ces institutions (par le mariage, la reproduction sociale et la production économique) pose d’autres problèmes quant à la place des personnes sexisées, au moins autant que dans la prostitution où l’offre (largement constituée de personnes sexisées) est à destination d’une demande généralement masculine.
Il nous semble que la première de ces deux visions est lacunaire, réduisant les TDS au statut de victime, sans prendre en compte la possibilité pour les TDS d’exercer leur activité dans une perspective émancipatrice, féministe et anticapitaliste (lire : https://manifestefeministe.fr/ ; https://cnttds31.noblogs.org/files/2018/06/ArgumentaireLabellisationTDS-8avril2017.pdf).
Les quatre postures générales face au TDS :
- Le prohibitionnisme réprime les TDS de manière directe. C’était la position de la France entre 2003 et 2016, en pénalisant le racolage passif.
La criminalisation du TDS a pour effet d’exclure les TDS du système judiciaire, et de les empêcher d’accéder à des services d’aide (juridique, médicale, psychologique) en cas de violences subies (viols, vols, agressions…).
- L’abolitionnisme cherche à réprimer avec l’aide de l’appareil d’État le TDS sans réprimer directement les TDS. Ce mouvement voit les TDS comme des victimes à sauver. C’est la position de la France, depuis 2016, qui pénalise les clients ainsi que le proxénétisme.
La définition légale très large du proxénétisme incluant toute personne pouvant aider les TDS dans leur travail pose problème. Elle amalgame les personnes qui exploitent les TDS — avec ou sans violence, en les rémunérant ou non — avec les partenaires de vie qui permettraient l’utilisation de matériel ou de locaux, la famille ou les ami·es qui prêteraient de l’argent, les « agent·es », « secrétaires », « videur·euses », les gérant·es d’hôtellerie et surtout les autres TDS qui voudraient s’entraider.
Selon cette définition, deux TDS qui possèdent une camionnette en commun pour exercer leur profession sont proxénètes l’une de l’autre. Les propriétaires bailleurs sont proxénètes et sont donc en droit de mettre fin au bail à tout moment, y compris pendant la trêve hivernale. Les banques et autres entreprises de services sont également considérées comme des proxénètes ce qui prive les TDS de bon nombre de services.
La pénalisation des clients, quant à elle, entraîne une baisse de la clientèle et donc un rapport de force en faveur de celle-ci, ce qui entrave la capacité des travailleuses du sexe à imposer des conditions protégeant leur santé (rapports non protégés, exercice du travail du sexe dans des lieux plus isolés). On constate ainsi, suite à la loi de 2016, une hausse des IST chez les TDS et en particulier chez les TDS migrant·e·s.
- Le Réglementarisme vise à autoriser le TDS tout en fixant le cadre légal.
Cette posture implique une absence de protection pour les TDS qui sortent du cadre légal, les personnes en situation irrégulière par exemple. De plus, les risques d’exploitation sont importants (loyer excessif des salons, contraintes horaires) (https://www.cairn.info/revue-sciences-et-actions-sociales-2021-2-page-133.htm)
- Le courant féministe pro-droits, qui le revendique comme un travail.
La position de Solidaires
La position de Solidaires est datée, et les différents points soulevés n’ont pas été mis à jour depuis au moins 2014. « La criminalisation du proxénétisme, la confiscation des biens provenant de l’exploitation sexuelle » est une phrase que l’on retrouve dans le cahier de 2023 ; or on trouve dans le Code pénal (art 222-5 ; https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417853/2020-10-12) que le simple fait « d’aider à la prostitution », comme des exemples ont été donnés précédemment, constitue un délit puni de 7 ans de prison et 150 000 € d’amende. Solidaires revendique donc des peines de prison plus longues (un crime est puni d’au moins 15 ans) pour, notamment, les TDS qui chercheraient à s’entraider : ne perd-on pas ici le sens du syndicalisme de lutte ?
Lorsqu’on se penche sur les conséquences des politiques abolitionnistes (ex : https://www.medecinsdumonde.org/app/uploads/2023/04/Shadow-Report-2020.pdf), on voit que les premières personnes qui en pâtissent sont les TDS elles-mêmes.
Les liens particuliers avec Solidaires Informatique
Les expressions « proxénétisme de soutien » et « proxénétisme de contrainte » » sont traditionnellement employées pour distinguer l’aide à la prostitution de la traite des êtres humains. Cependant, le droit français distingue 4 types de proxénétisme : d’assistance, de profit, d’entremise, et hôtelier.
Le « proxénétisme d’entremise » — l’interdiction de la mise en relation — concerne aussi les hébergeurs de sites web. En effet, la pénalisation des clients à entraîné chez les jeunes générations une multiplication du proxénétisme sur internet par rapport au proxénétisme de rue.
Cette pénalisation du proxénétisme d’entremise témoigne d’une lutte contre le TDS qui nuit concrètement à la protection des victimes de traite des êtres humains. Par exemple, le rapport des associations communautaires et de santé (https://www.medecinsdumonde.org/app/uploads/2023/04/Shadow-Report-2020.pdf) nous apprend que de l’aveu même du patron de la brigade de répression du proxénétisme, la fermeture de Vivastreet (un site d’annonces) n’a pas favorisé la lutte contre l’exploitation puisque ce site étant hébergé en France, il collaborait avec la police afin de les aider à identifier des cas d’abus, dont ceux de traite des êtres humains, ou d’exploitation de mineur·e·s, ce qui n’est pas le cas des sites d’annonces hébergés à l’étranger.
Par ailleurs, dans ce contexte l’exploitation est en réalité favorisée, puisque certains annonceurs justifient leurs pratiques de censure par les risques judiciaires qu’ils encourent. Or, le renouvellement des annonces avec de nouvelles expressions et mots codés implique pour les TDS de payer à nouveau.
Enfin, la modération accrue des plateformes suite à la loi Avia entraîne un retrait des comptes des TDS des réseaux sociaux même lorsqu’ils ne servent pas à les mettre en relation avec des clients.
Conclusion
La position abolitionniste ne fait pas consensus au sein de Solidaires. Dans le cadre d’un syndicat de luttes démocratique, qui recherche le consensus dans l’ensemble de ses décisions, il nous semble important de se défaire des prises de position qui divisent au sein même de notre union syndicale.
L’assemblée générale propose une réflexion pour faire évoluer ses positions, il nous semble primordial de quitter la position abolitionniste et permettre aux TDS de s’organiser comme iels l’entendent.
Solidaire Informatique demande à ce que Solidaires reconnaisse les travailleur·euses du sexe et permette leur syndicalisation au sein de son union syndicale.
Solidaire Informatique ne se reconnaît pas dans la position abolitionniste de Solidaires et demande à ce que cette position soit abandonnée.
Solidaires Informatique transforme le groupe de travail TDS en commission TDS et la mandate pour participer à toute commission de l’Union Syndicale Solidaires utile pour faire progresser les positions de l’Union sur la base de nos décisions collectives.